Traduction française de l'interview :
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Qu'est-ce qui vous a amené à la photographie ?
Je suis arrivé dans l’art par l’architecture. Très jeune, j’ai eu l’intuition de la beauté au travers des grands monuments. J’ai confirmé cela par des cours d’histoire de l’art pendant mes études, par les nombreuses visites de monuments qui m’ont passionnées, et enfin par l’acquisition d’un monument historique dans lequel je vis certes, mais aussi je fais venir des artistes pour des concerts ou des expositions.
J’ai commencé la photo par des photographies de monuments donc, puis de paysages. A la recherche de la mise en valeur de l’architecture ou pour retrouver une lumière et une vision instantanées.
De l’architecture et les paysages, je suis arrivé aux objets, aux détails, de la lumière je suis arrivé à la couleur et à la matière. La photo, c’est surtout la passion de l’image. J’aime les images, des clips vidéo aux longs métrages, des tableaux de Rembrandt aux photos de Burtynsky. J’aime figer mes idées dans la représentation que je m’en fais.
2. Quelle est votre photographie préférée de cette exposition et pourquoi ?
Sans hésitation, ma préférée est Tribute to Mr Brown, précédemment nommée Amen.
Elle représente le détail d’un pont qui surplombait un barrage, non loin de chez moi. Ce pont, je l’adorais. Il était pour moi un lieu de repos, de méditation, de nostalgie aussi. J’y allais souvent lorsque je me sentais triste ou en mal-être. Depuis ce pont, je regardais l’eau passer au travers du barrage et ça me ressourçait.
Un jour j’ai décidé de passer le photographier, mais j’ai trouvé mon pont en morceaux sur la berge. On le détruisait pour en construire un tout neuf, plus moderne. Ça m’a rendu un peu triste mais j’ai décidé de transformer cette tristesse en quelque chose de positif et de faire les meilleures photographies qui soient. Au moment du traitement de mes photos, j’ai découvert celle-ci, sur laquelle l’assemblage des métaux formait une croix à la façon d’une croix catholique. Je l’ai alors appelée Amen. Il est détruit. Qu’il en soit ainsi. Amen.
Récemment j’ai perdu un ami cher, qui adorait cette photo. Il en avait acquis deux exemplaires. J’ai instinctivement décidé de la renommer en hommage à ce grand homme.
Cette photographie, c’est moi : c’est mon passé, mes émotions, mes goûts, ma culture, mon ami, c’est le temps qui passe, sur les métaux, comme sur les autres et sur moi, et qui donne un résultat que je trouve beau, fort et digne.
3. Aimez-vous Londres ? Trouvez-vous Londres inspirante ? Si oui dans quelle mesure ?
Londres est une ville incroyable ! J’y suis venu de nombreuses fois pour de multiples raisons : professionnelles, affectives, festives… Cette ville je l’adore. Elle me représente précisément avec toutes ses facettes. C’est tout moi avec toutes mes contradictions. On y retrouve l’élégance, qui se marie à la décadence, le classicisme qui ouvre le pas au street art, les valeurs ancestrales qui rencontrent les dernières tendances. Londres, c’est Timberyard, un espace tourné à la fois vers les business men qui recherchent la rentabilité, mais aussi vers les artistes un peu fous en recherche de contacts humains, ou la génération plus ancienne qui recherche les saveurs du thé et des gâteaux d’antan. Tout cela c’est moi, et c’est aussi très inspirant. C’est à Londres que sont nés ou ont évolué largement le street art, le pop art et le clip vidéo par exemple. On ressent cette culture artistique dans tous les coins de rues, derrière chaque vitrine, dans toutes les personnes qui composent cette ville. Et j’adore ce melting pot de cultures, de générations et de styles dans lequel je retrouve mes valeurs fondamentales.
4. Qu'attendez-vous de votre séjour à Rome ?
Comme toujours, j’attends de la surprise… Quand je photographie une ville, bien sûr je vais faire les quelques clichés incontournables des grands monuments. Ceux que tout le monde a déjà réalisés. J’essaie d’y mettre un peu de moi malgré tout mais ce n’est pas toujours simple.
Alors très vite je m’éloigne, ou du moins mon regard se perd vers ce que les gens n’observent pas, ce qui est là à côté, qui fait partie du quotidien de cette ville, mais qui semble anodin. C’est cela qui fait ressentir l’âme des lieux. C’est cela que je vais rechercher encore à Rome.
Après, je ne peux pas cacher que je vais aller à la rencontre des monuments de la Renaissance, puisque ma maison date de la Renaissance française et que je suis attaché à cette architecture tout particulièrement. Mais pour la photographie, je pars sans a priori, avec juste mon regard préparé à tout observer, tout ressentir des palpitations de cette ville. Je suis impatient.
5. Comment décririez-vous une parfaite journée créative ?
Rencontrer des amis et parler d’art et surtout échanger sur nos visions de l’art et nos réflexions personnelles. Visiter un lieu remarquable. Passer dans une rue ou une place animée, au milieu des gens qui rient, qui pleurent, qui s’animent. Entendre là un joueur de musique de rue. Puis me retrouver au calme avec mon partenaire pour déambuler dans un endroit hors du commun, loin des regards de tous. J’aime me sentir pionnier dans la découverte d’un lieu ou d’un élément à photographier. Ça génère une véritable excitation. Observer, dans le silence. L’appareil en mains. Puis rentrer, me poser, et revivre cette journée en découvrant des beaux clichés, puis me sentir pleinement inspiré dans le choix des titres. Une belle journée artistique pour moi, c’est ça. Une alternance de partage et d’intériorisation.
6. Quel a été le meilleur commentaire sur vos oeuvres ?
Encore une fois, c’est Mr Brown, mon ami, qui me l’a offert. En parlant d’Amen. Lui qui était un grand amateur et connaisseur d’art, m’a dit lorsqu’il a découvert cette photographie que j’avais eu là « un trait de génie ». Venant de lui, un vrai génie, entouré lui-même de nombreux autres génies, c’était donc un vrai compliment. Et il était évident que ce n’était pas une flatterie, puisqu’il ne m’a pas seulement acheté une copie mais deux de cette photo. Je suis convaincu que c’est surtout maintenant que je l’ai renommée et que son nom est gravé dans cette photo, qu’elle peut devenir géniale.
Dans les plus grands feedbacks, je pourrais aussi citer Dominique Fournier, ancien directeur des programmes de TV5 Monde et directeur des relations culturelles de France Télévisions,
qui a écrit au sujet de mon travail : « J’aime sa conception très picturale de la photographie. Tel un peintre, il a d’abord une vision intérieure de ce qu'il veut nous montrer. Ses photos, très bien structurées par une belle maîtrise de la couleur et des formes géométriques, sont le reflet de son imaginaire : elles nous donnent à rêver. »
7. Pensez-vous qu'il y a suffisamment de place aujourd'hui à l'expression des photographes émergents ?
Je ne sais pas si c’est aussi important que cela. Il y a de la place pour chacun en tous cas. Cela dit la photographie en tant qu’art n’a pas sa place partout. Je sens que Paris est plus timide sur ce sujet, et je le regrette, car j’aimerais fortement exposer à Paris. A Londres, la photographie est déjà bien plus reconnue.
Ce qui est vrai c’est que la photographie est un art récent, qui de fait subit encore la nécessité des contraintes artistiques, comme la peinture a pu la subir pendant des siècles, afin de pouvoir être reconnue. Nous ne sommes donc pas encore affranchis des regards critiques des lignes de fuites, des classiques de construction. Quand la peinture s’est offert le luxe de la liberté absolue, la photographie est alors arrivée et a dû montrer sa technicité et son respect des règles. J’aime ces règles, je les connais, je les pratique, mais j’aime aussi m’en éloigner désormais et montrer une vision plus personnelle.
La photographie subit aussi la vision opposante de l’art et de la technologie. Les photographes eux-mêmes en abusent bien souvent et de trop : « sur quel boitier tu travailles ? Et quelle focale tu utilises ? » etc. J’ai cela en horreur. Je demande toujours à ces personnes s’ils pensent qu’on demandait à Rembrandt quels pinceaux il utilisait pour peindre. Je suis humble, je ne me compare pas à Rembrandt. Je connais mes faiblesses techniques en photographie, je continue d’apprendre, mais la technique et la technicité ne sont toujours qu’au service de l’art et ce n’est évidemment pas le contraire. A ce titre, on devrait offrir une place plus confortable à la photographie d’art.
Quant à la génération émergente de photographes, il me semble normal qu’elle se retrouve confrontée au même œil critique qu’en peinture. Lorsque l’on permet à tout le monde de se déclarer artiste peintre ou auteur en photographie, il est normal que le tri parmi le bon et le mauvais soit désormais entre les mains de tous, de la même manière.